Israël/la high-tech en crise: "les employés se font virer en pleine réunion"
L'instabilité du marché actuel oblige de nombreuses entreprises à réduire les effectifs

Depuis plusieurs mois, le secteur prisé de la haute-technologie en Israël connaît une crise sans précédent entraînant des licenciements de masse. En effet, des milliers de personnes ont perdu leur emploi ces derniers temps, dont 500 dimanche dans deux entreprises de renom. En proposant des salaires généreux et des conditions de travail idéales, la high-tech fait rêver de nombreux diplômés mais semble connaître aujourd’hui ses limites.
i24NEWS a recueilli le témoignage de deux employées qui se sont retrouvées à la porte du jour au lendemain, alors qu’elles pensaient avoir intégré de prestigieuses sociétés dans un domaine jusque-là peu touché par la précarité de l’emploi.
"Si vous ne remplissez pas les objectifs requis rapidement et que vous ne correspondez pas aux standards, ils vous virent facilement", a déclaré Jackie à i24NEWS, pointant du doigt l’énorme turn-over qui prévaut dans ces sociétés. La jeune fille s’est fait licencier d’une première boîte, puis a dû faire appel à un avocat pour conserver son emploi dans une 2ème entreprise qui souhaitait la renvoyer.
Pour quelles raisons la high-tech hautement convoitée a-t-elle peu à peu perdu pied?
L’instabilité du marché
Les entreprises de ce secteur sont obligées de licencier d'excellentes recrues, parfois même de réduire de moitié leurs effectifs car le marché est fragile et les investisseurs ont peur d'investir.
"La situation aujourd’hui est très instable, beaucoup d’entreprises ont adopté une attitude intelligente pendant la pandémie en créant de nombreux postes, et en tentant d’obtenir des fonds auprès d’investisseurs. Elles ont dépensé trop d’argent, trop vite et maintenant elles sont confrontées à une sorte de perte de contrôle car elles se sont développées très rapidement", a déclaré Lesley à i24NEWS. La jeune fille, qui travaille dans le secteur depuis une dizaine d’années, explique que "ces entreprises doivent désormais revoir leurs objectifs à la baisse, pour être davantage à taille humaine."
"Plusieurs entreprises sont obligées de cesser le processus de recrutement en raison de problèmes financiers auxquels elles ne parviennent plus à faire face. Il y a quelques mois, j'étais employée dans une start-up qui n’avait pas encore reçu de financements, ils devaient lutter pour obtenir des investisseurs. Mon boss a été viré, son successeur aussi et puis ils m'ont mise à la porte. Une dizaine de personnes ont ainsi récemment été licenciées", ajoute-t-elle.
Les sociétés israéliennes de haute technologie ont levé 9,5 milliards d'euros dans 395 transactions au premier semestre 2022, révèle le rapport IVC Israel Tech Review H1/2022, publié la semaine dernière, indiquant qu'une partie spécifique de cette économie montre des signes de ralentissement.
"J’ai travaillé dans une start-up dès août 2021 pour le département des ventes qui est un domaine particulièrement stressant, parce qu’on doit conclure des accords et ramener des fonds pour satisfaire les patrons. Il y a une pression énorme, qu’ils tentent d'étouffer avec de nombreux avantages et cadeaux qu'ils offrent aux employés comme la carte Ten Bis qui permet d’avoir des réductions dans les restaurants ou les happy hour, mais les obstacles sont bien là", témoigne Jackie.
Le manque de morale envers les salariés
Malgré les difficultés du marché qui ont engendré cette tendance de renvois en nombre, il s’avère que le secteur du high-tech n’a jamais vraiment fait preuve d’une déontologie exemplaire vis-à-vis de ses salariés.
Selon Jackie, "la high-tech a de gros problèmes de management et de manque de morale."
Une opinion largement partagée par Lesley, qui raconte avoir travaillé dans une boîte qui "vire régulièrement ses employés".
"Les managers licencient les personnes en pleine réunion, sans avertissement au préalable, c’est très surprenant, ils n’ont aucune sorte d’empathie ou de remords", relate-t-elle.
Selon Jackie, au vu de la conjoncture actuelle, les start-up de moins de dix ans ne sont pas à même de garder un nombre important d'employés.
"Ce que je retiens de ce genre d’entreprise, c’est que vous ne pouvez pas compter sur ce que vous disent vos chefs quand vous débutez. Ils ne donnent même pas six mois aux salariés, au bout d’un mois, vous pouvez être dehors. A cause de cela, j'ai moi-même perdu confiance dans beaucoup de boîtes de high-tech", confie la jeune femme.
Lorsque les travailleurs sont licenciés, la majorité restent dans le domaine mais beaucoup reprennent le chemin de leurs anciens postes d'avocats, de comptables ou encore d'économistes. Les employés recherchent avant tout une certaine stabilité à long terme avec des emplois qui satisferont leurs attentes de manière sûre.
La paye, très attractive, continue toutefois d'attirer les Israéliens. Le salaire moyen est d’environ 26.937 shekels (7.300 euros) par mois, selon le CBS mais pour un poste de direction, le salaire peut facilement atteindre les 50.000 shekels (14.000 euros). Dans l'ensemble, une augmentation de 4,9 % par rapport à avril de l'année dernière a été enregistrée, rapporte Globes.
La haute-technologie israélienne vacille-t-elle?
Asurion, le géant mondial d'assurance pour les appareils électroniques, a annoncé dimanche que dans le cadre d'un processus de réorganisation interne, il ferme Soloto, le centre de développement de la société en Israël qu'il a acheté en 2013. 120 employés de Soloto recevront donc dans les mois à venir des primes de retraite prolongées supérieures à la norme habituelle tandis qu’une quarantaine d'employés continueront à travailler dans l'entreprise jusqu'à la fin de l'année. L'ancien Premier ministre Naftali Bennett avait notamment été PDG de Soloto pendant quelques mois il y a plus de dix ans.
En outre, Aid Genomics, une société internationale leader dans le domaine du diagnostic et de la thérapie du cancer et des maladies infectieuses, propriétaire d'un centre de développement en Israël, a annoncé le retrait de ses activités et la fin des investissements futurs prévus depuis Israël. La société a affirmé qu’il y aurait une réduction substantielle de l'activité en Israël et le transfert de son centre de recherche et développement d'Israël vers l'étranger. Dans le cadre des procédures de réduction des effectifs que l'entreprise a entamées, pas moins de 400 employés en Israël seront licenciés.
En Amérique, un phénomène similaire a également été signalé. "Je pense que la situation actuelle est passagère et qu’elle reprendra son cours normal d’ici quelque temps car ce domaine a les capacités de se remettre sur pied rapidement", a affirmé Lesley.
Pour l’heure, le sujet reste tabou pour bon nombre de chefs d’entreprises qui refusent d'assumer la responsabilité de cette "erreur de parcours" sur leur lancée, dans un secteur à l’avenir prometteur.
Caroline Haïat est journaliste pour le site français d'i24NEWS