Myriam Ackermann-Sommer, rabbine et équilibriste entre modernité et orthodoxie
“L’orthodoxie moderne accorde une grande importance à l’étude. Il est très important pour nous de garder un pied à l’université et un pied à la synagogue"
Elles sont désormais sept en France. Certaines que l’on ne présente plus, comme Delphine Horvilleur, et d’autres moins exposées médiatiquement. Elles, ce sont ces femmes qui écrivent chaque jour l’histoire du judaïsme français au féminin. En recevant son ordination rabbinique, Myriam Ackermann-Sommer vient de rajouter une petite pierre à l’édifice. A 26 ans à peine, elle devient la première femme rabbin ordonnée dans le courant “moderne orthodoxe”. Un courant du judaïsme qui a pour vocation de lui assurer une ouverture vers la modernité sans transiger avec la halakha, la loi juive dite orthodoxe.
“C’est notre pari, trouver un équilibre entre l’orthodoxie juive et la modernité. Il faut savoir que le judaïsme orthodoxe moderne ne pense pas l’acceptation aveugle de toutes les catégories tirées de la modernité ou de la post-modernité. Nous affirmons la nécessité d’une confrontation constante entre les valeurs du judaïsme et ce qui émane du monde occidental, notamment une grande valorisation des études universitaires et profanes”.
Le rêve de l'étude en commun
Née dans une famille peu pratiquante, Myriam Sommer-Ackermann a fait téchouva - à savoir un retour vers la religion juive - à partir de l’âge de 15 ans et a rencontré son mari Émile à l’âge de 20 ans. Tous deux partagent le rêve d’étudier en commun les textes de la tradition juive à plein temps et de fonder une communauté qui permette une démocratisation de l’accès aux textes du judaïsme pour les hommes comme pour les femmes, y compris l’apprentissage de la guémara - mot araméen signifiant complément, achèvement et qui désigne la seconde partie du Talmud - à haut niveau pour les hommes comme pour les femmes.
Myriam Ackermann-Sommer insiste sur le caractère “orthodoxe” du judaïsme qu’elle pratique : “Mon mari et moi nous reconnaissons beaucoup plus dans le judaïsme orthodoxe moderne comme forme d’orthodoxie, c’est essentiel de le rappeler. Nous ne sommes pas des “libéraux déguisés”. L’orthodoxie telle que nous la concevons et celle que nous entendons respecter ne transige pas avec la pratique des commandements. En matière de shabbat, de cacherout, de nidah… On ne prend pas de libertés avec la loi. Le seul changement est sur le point de l’inclusion des femmes dans le rituel, nous faisons en sorte de privilégier l’accès des femmes à l’étude et au culte”.
Et cette dernière d'ajouter que “l’orthodoxie moderne accorde une grande importance à l’étude universitaire. Il est très important pour nous de garder un pied à l’université et un pied à la synagogue. C’était aussi la revendication d’un Lévinas par exemple. Le décès de mon père, qui n’était pas juif, m’a poussée à choisir le thème du deuil pour ma thèse. Je n’ai jamais fait le deuil de mon père et je me suis dit que j’écrirai sur ce sujet toute ma vie. Peut-être qu’un jour j’écrirai comme Delphine Horvilleur mon propre “Vivre avec nos morts”
D’aucuns vous comparent à la principale figure du judaïsme au féminin en France, Delphine Horvilleur. Que pensez-vous de ces comparaisons et d’où vient cette obsession à vouloir mettre en compétition des femmes sur leurs différences plutôt qu’enrichir le dialogue en parlant de ce qui les rassemble ?
Delphine Horvilleur est une femme que j’admire, dont j’admire les écrits. Je pense que les comparaisons viennent simplement du fait que nous sommes des femmes rabbins, présentes dans les médias. Nous partageons également cette volonté d’entrer en dialogue avec les juifs comme avec les non-juifs. Elle m’a forcément inspirée, même indirectement et en toute humilité puisque je suis loin d’avoir une telle exposition médiatique. S’agissant du dialogue, j’aimerais beaucoup que nous ayons un échange, un débat public. J’y réfléchis depuis des années.
Vous avez étudié aux États-Unis, où il est beaucoup plus fréquent de voir des femmes rabbins qu’en France. Quelle a été votre expérience du judaïsme américain et de sa diversité ?
Nous avons beaucoup à apprendre des grandes communautés juives du monde, d’Israël bien sûr mais également des États-Unis. J’avais fait des études d’anglais et mon mari de droit international avec une spécialisation américaine, donc nous étions plus à l’aise en anglais qu’en hébreu. Il y a beaucoup de grandes institutions en avance sur nous, même si elles ne sont pas exemptes de luttes intestines et/ou politiques notamment en ce qui concerne la reconnaissance des femmes dans les grandes institutions orthodoxes. Le judaïsme américain est également très holistique, une synagogue n’est pas simplement un endroit où l’on va prier c’est également un centre de vie à part entière où l’on va organiser toute une activité sociale et communautaire. La synagogue où nous avons étudié mon mari et moi se transformait par exemple en centre d’accueil pour SDF le week-end.
Pensez-vous que le judaïsme “moderne orthodoxe”, beaucoup plus enraciné aux États-Unis qu’en France pourrait durablement s’installer en France également et faciliter le dialogue entre les mondes libéraux et orthodoxe ?
Le judaïsme orthodoxe moderne vient répondre à une demande dans le monde juif français, en revanche je ne suis pas sûre qu’il s’agisse d’un instrument de dialogue entre les mondes libéraux et orthodoxe. Nous avons clairement les deux pieds dans le monde orthodoxe et nous n’avons pas forcément de velléités d’être un “pont” entre les deux. Nous ne sommes pas une “troisième voie”. Par exemple, il y a beaucoup de courants différents dans le monde orthodoxe. Ce n’est pas la même chose d’aller au Habad, qu’au Consistoire ou chez les Haredis. Nous sommes simplement un autre courant de l’orthodoxie. Avons-nous la vocation de provoquer une grande révolution en France ? Certainement pas. Nous diversifions simplement l’offre, en restant attachés à l’orthodoxie.
Dans le contexte d’obsession identitaire que nous vivons, comment lutter contre ces injonctions permanentes à la “pureté” de nos identités, au repli communautaire et au rejet de celui “qui ne me ressemble pas” ?
Nous concevons la question en pensant le particularisme en dialogue avec l’universel. Nous sommes juifs, y compris dans l’espace public. Je portais une perruque, en été je porte un foulard et des jupes longues, et en même temps j’ai vocation à entrer en dialogue avec les autres identités qui composent le paysage français. C’est la seule manière de lutter contre les injonctions permanentes à la “pureté”. D’une part dire d’où je parle, tout en privilégiant une volonté de dialogue avec d’autres milieux, différents du mien.