Non, il n’y a pas d’épuration ethnique à Gaza !, par Myriam Shermer
Moshé Yaalon calomnie Tsahal pour des raisons politiques
L’ancien ministre de la Défense persiste et signe. Samedi, il accusait l’armée israélienne de commettre un nettoyage ethnique dans la bande de Gaza. Dimanche, sous le feu des critiques de ses anciens collègues de la classe politique et alors que de multiples médias lui donnaient l’occasion de se rétracter, il a refusé de le faire, au motif que des implantations juives pourraient être reconstruites dans la bande de Gaza, dans le futur.
Moshé Boogie Yaalon est un personnage complexe. Ancien ministre de la Défense particulièrement ferme sous Benjamin Netanyahou, il est aujourd’hui l’un des critiques les plus virulents du chef du gouvernement, pour des raisons qui vont du personnel au factuel. Il n’est certainement pas le premier Israélien à se lancer dans des propos outranciers à des fins de politique intérieure, sans se soucier des conséquences extérieures. Mais aussi irréfléchies soient elles, ses déclarations méritent d’être soigneusement déconstruites.
Double logique humanitaire et sécuritaire
Premièrement, puisqu’il faut dire l’évidence : non, Tsahal n’effectue pas d’épuration ethnique dans la bande de Gaza. Les mouvements de population, lorsqu’ils sont exigés, obéissent à une double logique humanitaire et sécuritaire. Humanitaire parce que, contrairement aux mauvais procès qui lui sont faits, l’armée prend grand soin de minimiser les victimes collatérales, et que les civils ont besoin d’être éloignés des zones de combat (avec un résultat qui est considéré par l'expert militaire John Spencer comme l’un des meilleurs jamais obtenus par une armée professionnelle dans un contexte de guerre urbaine).
Et sécuritaire, ensuite, parce que contrairement à ce que peut laisser supposer l’expression “épuration ethnique” employée par Yaalon, ce n’est en rien l’ethnie, ou l’origine, ou la religion de certains civils gazaouis qui est en cause dans la campagne militaire actuelle. Mais bien leurs actions. Que ce soit en tant que boucliers humains, collaborateurs ou informateurs, ils sont trop souvent impliqués dans la stratégie militaire du Hamas. Trop d’écoles, mosquées ou résidences privées ont été transformés en arsenaux ou sites de lancement de missiles pour pouvoir prétendre le contraire. Trop d’armes ont été retrouvées sous trop de lits ; trop d’otages ont témoigné avoir été retenus en captivité par des familles entières ; trop de maisons sont utilisées comme guet-apens pour les soldats de Tsahal.
Le droit international est d’ailleurs limpide : une infrastructure civile perd son immunité lorsqu’elle sert à des fins militaires. Ergo, ces infrastructures doivent être détruites, et leurs habitants temporairement déplacés. Juifs et arabes coexistent par ailleurs en Israël, si ce n’est parfaitement alors le plus harmonieusement de la région. Le sujet n’est pas, et n’a jamais été, l'ethnie des Gazaouis, mais bien leur choix politique de soutenir, ou du moins de laisser faire, cette guerre contre les Israéliens (juifs et arabes !), menée littéralement depuis leurs salons.
Les opérations actuelles sont d’ailleurs conçues comme un moyen de pression à court terme pour obliger le Hamas à libérer les otages et déposer les armes, et non comme un objectif définitif.
Quid alors du long terme ? Et que penser des déclarations de Messieurs Ben Gvir et Smotrich, qui ne cachent pas leurs intentions de réinstaller des Juifs dans la bande de Gaza?
Un courant minoritaire
C’est là qu’il faut se plonger dans les méandres de la politique israélienne et ses complexités.
Le ministre des Finances Bezalel Smotrich et le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir représentent en effet l’aile radicale de la communauté sioniste religieuse, partisans idéologiques du Grand Israël, une vision expansionniste du territoire israélien comprenant la Judée-Samarie, la bande de Gaza et au-delà. Ce courant est néanmoins très minoritaire dans la société israélienne. Électoralement, Smotrich se trouve depuis des mois sous le seuil d’éligibilité, et Ben Gvir baisse régulièrement dans les sondages, son parti décrochant la septième place seulement dans les intentions de vote. Plus concrètement, au sujet de la bande de Gaza, il n’est pas inutile de rappeler que lorsqu' Israël décide de s’en retirer unilatéralement en 2005 pour favoriser le processus de paix, l’Etat hébreu va évacuer les 10 000 hommes, femmes et enfants qui y vivaient depuis une trentaine d’années. Soit à peine 0,1% de sa population générale. On mesure les dimensions très réduites du phénomène. Politiquement d’ailleurs, s’il a toujours pris soin de les ménager comme partenaires de coalition, Benjamin Netanyahou n’a jamais rejoint la ligne messianique du sionisme religieux. “Grand cœur et petite cervelle”, avait coutume de dire son père à leur égard, le défunt professeur Bentzion Netanyahou, et son fils, grand réaliste devant l’Eternel, n’est pas loin de penser la même chose. Dans leur ensemble, les Israéliens partagent sa dérision pour la dimension idéologique du projet (l'idée que la rédemption spirituelle passe par la terre), et c’est pourquoi les habitants des implantations ont pendant très longtemps été violemment rejetés par le mainstream israélien et traités comme d'encombrants obstacles à la paix.
Aucune garantie sécuritaire sérieuse
Pourquoi alors l’inquiétude de Moshé Yaalon et son sentiment, redouté également par d’autres, que de nouvelles implantations juives verront malgré tout le jour à Gaza?
Les plus cyniques considèrent que Netanyahou fera tout pour contenter ses partenaires politiques afin de demeurer au pouvoir. La vérité, là encore, est plus complexe.
Contrairement à la bande de Gaza, Israël n’a jamais évacué la Cisjordanie (ou Judée et Samarie), citant des raisons sécuritaires. Le 7 octobre, craignant une invasion généralisée, les habitants de la région centre ont pu mesurer à quel point ils étaient protégés de la frontière est du pays par les blocs d’implantations qui font tampon entre les plus grandes localités israéliennes et les territoires palestiniens. Qui fera tampon à la fin de la guerre entre la bande de Gaza et les habitants du sud, à peine remis du 7 octobre?
C’est une question à laquelle personne n’a de réponse sérieuse aujourd’hui au sein de la communauté internationale. Pire : les tentatives de déradicalisation de la société gazaouie, par exemple via un démantèlement de l’agence UNRWA qui sert de paravent à une éducation violemment suprémaciste, islamiste et antisémite, sont régulièrement bloquées par les puissances occidentales. Quant aux solutions politiques évoquées pour gouverner Gaza dans le jour d'après, que ce soit le retour d’une Autorité palestinienne moribonde et corrompue jusqu’à la moelle, ou l’idée d’un consortium international mené par l’Arabie Saoudite, elles relèvent davantage du fantasme que de la réalité, et n’offrent aucune garantie sécuritaire sérieuse aux Israéliens.
Dans ce contexte là, est-il vraiment étonnant que ceux-ci ne protestent que mollement lorsque les grands idéologues du sionisme religieux annoncent leurs intentions de venir s’installer entre les habitants du sud et les ennemis sanguinaires qui les ont envahi le 7 octobre ? Ces mêmes habitants qui ont malheureusement appris, à leurs corps défendant, qu’une simple barrière de sécurité n’était pas suffisante pour garantir la vie de leurs enfants ?
Militaire et stratège chevronné, Moshé Yaalon s’honorerait bien davantage s’il s’occupait de développer des réponses sérieuses à ces questions, plutôt que de calomnier Tsahal sans fondement. Encore faudrait il faire preuve d’un peu de retenue, une qualité malheureusement trop souvent absente de la politique israélienne.