Netanyahou doit-il démissionner?
Après le chef d’état-major, est-ce au tour du Premier ministre? En clair : pas maintenant.
“Maintenant, à vous”. C’est le fond des nombreuses réactions suite à la démission du chef d’état-major Herzi Halevi, qui a annoncé mardi qu’il quitterait ses fonctions au début du mois de mars. Son départ vient s’ajouter à une liste de plus en plus longue de hauts gradés qui ont pris leurs responsabilités après le catastrophique échec du 7 octobre. A raison.
Se pose donc désormais la question : quid de l’échelon politique? Plusieurs membres de la coalition se sont vus poser la question par la presse israélienne au cours des derniers jours, et après avoir légèrement bafouillé, ont fini par répondre qu’un gouvernement se remplace uniquement par les urnes, au moment des élections.
Voilà qui prête à sourire. Entendons-bien, c’est vrai en théorie. Mais est-ce bien le cas en Israël, championne toutes catégories des élections anticipées? En un mot : non. Depuis qu’il est revenu au pouvoir en 2009, Benjamin Netanyahou n’a dirigé que deux gouvernements qui sont quasi allés au bout de leur mandat officiel (4 ans et demi). Les autres ont duré moins de deux ans, sans oublier l'inoubliable impasse électorale de 2019 à 2022, qui a appelé les Israéliens aux urnes cinq fois en un peu plus de trois ans. Les causes de cette instabilité chronique n’ont jamais été des circonstances particulièrement graves; simplement les aléas habituels de la vie politique israélienne.
Cette même classe politique, ce même parti du Likoud et ce même Netanyahou seraient donc subitement empêchés de démissionner en raison d’un respect inédit pour les institutions démocratiques, alors qu'Israël vit la plus grande catastrophe sécuritaire de son existence? A d’autres. Éthiquement, il aurait fallu immédiatement fixer une nouvelle date d'élection. Ou du moins, attendre la première accalmie pour le faire, comme le chef d’état-major.
Faire preuve de discipline et de retenue
Pourquoi alors ne pas appeler à une démission générale du gouvernement dans cet éditorial? Tout simplement, parce qu'Israël ne peut pas permettre aujourd’hui de laisser cours à son appétit chronique pour l'instabilité. C’est au contraire le moment de faire preuve de discipline et de retenue, pour deux raisons principales. La première : un scrutin coûte extrêmement cher, à organiser d’abord, et ensuite pour toutes les décisions gouvernementales qu’il repousse ou gèle indéfiniment. Rien ne prouve d'ailleurs qu'une coalition stable et homogène verrait immédiatement le jour après une élection. La première administration Trump en avait fait les frais face aux campagnes électorales successives en Israël dès décembre 2018. Le président réélu n’aura pas de patience pour nos frasques parlementaires cette fois-ci. Faut-il obéir au doigt et à l'œil aux Américains qui agissent évidemment d’abord en leurs propres intérêts, et ensuite seulement, éventuellement, en ceux de Jérusalem? Evidemment non. Mais Donald Trump a prouvé qu’il possédait une créativité rare sur le dossier proche-oriental. Son nouveau mandat, qui démarre en fanfare cette semaine, a d’ores et déjà un impact hors-normes, à la fois géopolitique et culturel, sur la scène internationale.
Perdre du temps pendant les premiers mois (ou années) de sa présidence serait particulièrement dommageable. La deuxième raison est la plus importante. La guerre du 7 octobre a révélé et accentué des problèmes de fond, qui nécessitent des solutions à long terme, et ne se régleront de toutes façons pas immédiatement par un nouveau gouvernement. Pendant les années qui ont précédé le 7 octobre, les Israéliens s’étaient détourné de leur problème palestinien. Ils avaient pris l’habitude de penser à autre chose, tant il leur paraissait insolvable. Et à raison.
Mais pour éviter un second 7 octobre, il ne suffira pas de changer de politiciens, il ne suffira pas non plus de gagner la guerre. C’est un ensemble de mesures très profondes qui est nécessaire. Renouer avec le Tsahal d’antan, beaucoup plus belliqueux et décisif. Très largement élargir l'enrôlement, couper tous les passe-droits et revaloriser les carrières militaires. Revoir l’arsenal juridique de la lutte contre le terrorisme, pratiquer la peine de mort pour les terroristes (la loi existe déjà) qui ne devront plus jamais être monnayés contre d’innocents Israéliens. Démanteler le château de cartes de l’UNRWA, paravent officiel du Hamas et des autres milices djihadistes dans la bande de Gaza. Et enfin, imposer la déradicalisation complète et totale de la société palestinienne et ne plus se satisfaire de demi-mesures. Ce programme, ambitieux s’il en est, est néanmoins indispensable. Aucun plan de paix durable ne saurait exister sans lui.
Le défi d'une génération
Le 7 octobre a changé les Israéliens. Politiquement, ils sont nombreux à avoir abandonné l’utopie de la solution à deux Etats, comme l’a admis le président Itzhak Herzog lui-même au forum de Davos cette semaine. Militairement, ils subissent la plus longue campagne de leur histoire . Son coût humain et économique est un sacrifice qui les engage à s’attaquer au problème palestinien beaucoup plus sérieusement que ces 15 dernières années. Ils comprennent petit à petit que les fossés sociologiques les séparent moins qu’ils ne le pensaient et qu’un nouveau défi générationnel les attend : gagner définitivement ce combat, à l'ère où les guerres ne se gagnent plus, mais se gèrent. Il faudra une détermination nationale forte. Il faudra mûrir et dépasser certains désaccords politiques d’antan. Il faudra se montrer patients et résolus. Tout cela prendra du temps et nécessite une maturation d’après les combats. Rien de ceci n’absout Benjamin Netanyahou ni de sa responsabilité morale dans l’échec du 7 octobre, ni de l’attentisme stratégique qui a caractérisé trop souvent les décisions précédent le Samedi Noir. Mais rien ne sert de courir à qui ne part pas à point. Et les électeurs israéliens ont besoin d’être extrêmement au point pour leur prochain scrutin.