7 octobre : un président français satellisé, par Michaël Darmon
Depuis le 7 octobre, un an d'incohérences du président de la République française face au pogrom du Hamas.
L'installation à Matignon de Michel Barnier enterre les années Macron. En retrait de la politique intérieure, le président de la République, en poste jusqu'en 2027 -sauf surprise d'une démission anticipée en cas de blocage politique durable-, a désormais beaucoup plus de temps libre à consacrer aux affaires internationales. Placé sur orbite diplomatique, observant de façon stratosphérique les zones brûlantes de la planète, Emmanuel Macron pourrait donc en profiter pour se pencher sur l'histoire des régions qu'il prétend régenter ou réformer, en particulier celle du Proche-Orient.
Par exemple, contrairement à ce qu’il affirme, ce n’est pas l’ONU qui crée l’Etat d’Israël, mais la présence depuis plus de trente auparavant d’une organisation para étatique, le Yshouv, qui pose les fondations de l’Etat d’Israël dont les frontières ont été dessinées par le vote de partage à l’ONU en 1948. La même ONU qui adoptera plus tard la résolution 3379 assimilant le sionisme à un racisme... Depuis les massacres du 7 octobre perpétrés en Israël par le Hamas et la riposte israélienne, le président français n'a cessé d'accumuler les déclarations inconséquentes et incohérentes dans un "en même temps" périmé et inefficace. Lors de sa première prise de parole, grave et emphatique, le chef de l'État s'est déclaré du côté d'Israël, a réclamé le retour des otages israéliens capturés par le Hamas et donne la consigne : face à une tragédie de cette ampleur, "Il n'y a pas de 'oui mais'", dit-il à la télévision.
Dès lors, selon les confidences de certains diplomates, une certaine confusion s'est emparée des sphères diplomatiques au service du président. D'aucuns lui ont expliqué qu'il était très risqué pour la crédibilité française de prononcer des messages aussi comminatoires aux membres du Hamas tout en se montrant aussi favorable à Israël. Résultat, deux jours plus tard, Emmanuel Macron profitait d'un entretien accordé à la BBC pour accuser l'armée israélienne de tuer "des femmes et des enfants" à Gaza, instaurant de fait un "oui mais" à la française. Du pain bénit - ou plutôt du pain noir - pour les antisémites et antisionistes de la gauche politique et intellectuelle qui entreprenaient de cibler les responsables politiques reconnaissant le droit d'Israël à se défendre dans cette guerre existentielle contre l'idéologie totalitaire du Hamas.
Dans le même temps, Emmanuel Macron déclarait vouloir se rendre en Israël seulement une fois que ce serait "utile" pensant que les otages allaient rapidement être libérés. Après que la plupart de ses homologues se soient rendus en Israël, le président français a fini par se résoudre à faire le voyage. Afin de rattraper le retard, il lui fallait arriver avec une annonce "waouh" comme aimaient dire les macronistes jadis. Juste avant de sortir de son avion à Tel Aviv, Emmanuel Macron opte pour l'idée baroque de mobiliser une coalition internationale avec des pays arabes pour éliminer le Hamas à l'instar de la force qui a combattu Daech. Stupeur et agacement à l'Élysée où l'on découvre cette annonce pratiquement en direct. Colère dans les capitales arabes réticentes à être convoquées pour une telle chimère. "Une humiliation", a résumé un grand ambassadeur, fin connaisseur du monde arabe en privé. Indifférence en Israël où l'on ne mise guère d'espoir sur une efficacité française.
Selon le récit d'un familier de la cellule diplomatique de la présidence, la gestion du dossier proche-oriental s'apparente depuis le départ à "une descente aux enfers".
Emmanuel Macron n'allait pas s'arrêter en si bon chemin.
Alors que l'exécutif français n'évoque jamais publiquement les otages français prisonniers du Hamas et que l'antisionisme se décomplexe à grande vitesse dans les sphères intellectuelles et médiatiques, une marche contre l'antisémitisme et pour la République s'organise sous la houlette des deux présidents de chambre Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher au mois de novembre 2023.
Emmanuel Macron, le premier des Français, répondit avec assurance à la descendante d'Alfred Dreyfus qu'il n'avait pas à être présent dans une telle manifestation. Un président ne manifeste pas, expliqua Macron. Pendant ce temps, Marine Le Pen annonçait sa participation au cortège.
"Je suis là où je dois être", dit-elle. On marche sur la tête, se disent alors les responsables de la communauté juive.
Le 7 février 2024, la France rend hommage aux victimes françaises du Hamas. C'est le seul pays en Europe à le faire. Dans son discours, Emmanuel Macron évoque le pire crime antisémite depuis le début du siècle. Nuance de taille : le 7 octobre 2023, c'est d'abord une attaque sans précédent d'un groupe terroriste sur le territoire souverain de l'État d'Israël qui donne lieu à la pire campagne antisémite du début du XXIe siècle.
À l'improvisation française sur le terrain proche-oriental, il faut rajouter l'inimitié entre Netanyahou et Macron qui a généré des tensions supplémentaires. Réagissant à l'entretien accordé par le Premier ministre israélien à LCI au printemps 2024, Emmanuel Macron a fait en sorte de fermer la porte aux entreprises israéliennes au salon de la sécurité et de défense de Satory à l'orée de l'été 2024, et ce malgré l'opposition du ministère des Armées. À la rentrée, Israël, qui en a à peu près terminé avec la branche militaire du Hamas, fait basculer le centre de gravité - l'expression illustre littéralement l'enjeu - de la guerre sur le front nord. La saison 2 de la guerre d'octobre commence par un coup d'éclat qui redore le blason des services de renseignements israéliens pour la prochaine décennie. Des milliers de bippers accrochés à la taille des commandants de la milice pro-iranienne explosent en même temps. C'est l'hécatombe. La désormais célèbre opération dite "des bippers" dans le jargon journalistique aurait pu avoir pour nom de code "from the bipper to the sea". Mais comme il a été souligné, l'heure est grave. Le gouvernement israélien et son armée ont décidé de briser l'équilibre de la terreur imposé par l'Iran et ses alliés depuis une décennie, en particulier en siphonnant les forces vives du Liban, sous les yeux des Français qui ne peuvent juguler ce processus mortifère. Constater que les Israéliens ont décidé de faire le travail en décapitant le Hezbollah est vécu comme une humiliation supplémentaire pour la diplomatie française en mal d'efficacité. Emmanuel Macron en profita pour se précipiter devant sa caméra vidéo afin d'enregistrer un message maladroit à destination des Libanais : pas un mot du caractère terroriste du Hezbollah, pas une allusion aux 58 soldats français tués par l'organisation terroriste. Sursaut au sommet de l'État : le président du Sénat, Gérard Larcher, 2e personnage de l'État, se démarque, en exclusivité sur I24 News, du président de la République : "Le Hezbollah, pour moi qui suis très attaché au Liban, c'est d'abord une organisation terroriste avec du sang français sur les mains. Les 58 parachutistes français du Drakkar, la rue de Rennes, tout ceci c'est le Hezbollah", dit Larcher qui en privé est encore plus tranchant : "Sur le Proche-Orient, je ne partage pas du tout les approches du Président de la République".
Le vendredi 27 septembre, Israël élimine le leader du Hezbollah dans une frappe massive sur son QG à Beyrouth. Les Occidentaux sont encore une fois pris de court par le gouvernement israélien, et sont d'autant plus marris que Benjamin Netanyahou a fait mine de donner son consentement à un plan franco-américain portant sur une trêve de 21 jours. Attendu à l'assemblée générale de l'ONU pour confirmer cet accord, Netanyahou s'est offert le plaisir de gruger cette assemblée onusienne qu'il déteste, la considérant trop complaisante avec le Hamas. Au lieu de dire oui à la trêve, Netanyahou donne le go pour décapiter la tête du Hezbollah et délivre à la tribune de l'ONU un discours ultra offensif. Quelques jours plus tard, le président français, à la veille des cérémonies marquant un an depuis le pogrom du 7 octobre, se prononce pour un arrêt des livraisons d'armes à Israël. Il s'exprime depuis le sommet de la Francophonie organisé par la France, dont il ne restera rien hormis cette déclaration qui provoque un haut-le-cœur au sein de la communauté juive de France et un malaise dans le monde politique français. Il est toutefois applaudi par l'extrême gauche dont l'antisémitisme est toujours aussi virulent. Le 7 octobre 2024, lors de la cérémonie en l'honneur des otages organisée par le CRIF au Dôme, Michel Barnier parle de l'engagement du président de la République en faveur de leur libération. À l'évocation du nom Emmanuel Macron, la salle siffle copieusement. Le lendemain, l'Élysée ose demander des explications au CRIF qui refait passer le message : les Juifs de France ne comprennent pas le président de la République.
Ils réalisent aussi ce que beaucoup murmurent depuis longtemps au sein de l'appareil de l'exécutif français, à savoir le peu d'appétence présidentielle pour ce qui se joue au Moyen et Proche-Orient, dans cette partie du monde où se joue le XXIe siècle.