Analyse | "Ceci n’est pas un ruban jaune", par Raphaël Jerusalmy
Entre désinformation, relativisme et travestissement des faits, il devient de plus en plus difficile de distinguer la vérité des illusions
Désinformation, fake news, wokisme, il n’est désormais plus possible d’appeler un chat un chat. La semaine dernière, un incident impliquant le célèbre entrepreneur Elon Musk en a fait la preuve. À l’occasion de l’investiture de Donald Trump, Musk est monté sur un podium pour s’adresser à une foule en liesse. Il s’est frappé la poitrine avec la main, puis a étendu le bras de tout son long vers le haut, à un angle de quarante-cinq degrés, en maintenant la main bien droite également, paume vers le bas. Ceci n’est pas un salut nazi, nous dit-on. Mais un geste maladroit. Musk chassait-il une mouche qui l’importunait ? S’il avait voulu inclure la foule dans un élan d’enthousiasme, n’aurait-il pas étendu les deux bras vers elle, en une accolade, plutôt qu’un seul vers le plafond ?
En 1928, le surréaliste belge René Magritte peignit une huile sur toile représentant une simple pipe à tabac, avec sa tête en bruyère et son tuyau en corne, en-dessous de laquelle il fit figurer l’inscription : Ceci n’est pas une pipe. Il parlait de l’illusion artistique et de comment l’image d’un objet, aussi fidèle soit-elle à la réalité, n’est pas cet objet. Mais une façon de le voir qui peut varier d’un artiste à l’autre comme d’un spectateur à l’autre. D’où la possibilité que, en voyant Musk gesticuler à l’hitlérienne, quelqu’un ait pu ressentir autre chose. Surtout s’il s’agit d’un adolescent d’aujourd’hui, n’ayant pas planché sur ses leçons d’histoire.
Voici une photo de reportage montrant un homme au visage enveloppé d’un keffieh. Il est en train de tirer sur les enfants d’un kibboutz avec un fusil d’assaut. Ceci n’est pas un terroriste, nous dit-on. Mais un militant. Au siège des Nations unies, des experts examinent une vidéo. On y voit une femme du même kibboutz tabassée puis abusée sexuellement par plusieurs autres militants portant le même keffieh. Ceci n’est pas un viol, nous dit-on. Mais un courageux acte de résistance. Il en va de même pour un manifestant de l’université de Harvard ou de Sciences Po brandissant le drapeau du Hamas. Ce n’est pas un partisan de l’écrasement du peuple israélien. Mais un pacifiste. Tout comme l’UNRWA n’est pas un repère d’assassins mais une œuvre de bienfaisance. Des jeunes gens brûlant des drapeaux bleus et blancs avec une étoile de David au centre, alors qu’ils entourent une école juive ou une synagogue, ne sont pas des antisémites, nous dit-on. Mais des opposants à l’occupation sioniste. Puisque l’on n’appelle plus un chat un chat. Et qu’une pipe n’en est pas une, pourquoi les racistes se priveraient-ils de cette occasion bénie de se masquer et de mentir ? Ou, comme ils le disent, de se redéfinir. René Magritte avait bien perçu cette menace se profilant à l’horizon. Tout comme Kafka. Celle d’un monde où plus rien n’a vraiment de sens. Et où la vérité n’a pas cours. Celle qui a fini par mener au nazisme des bêtes et des méchants, avec leurs saluts hitlériens et autres slogans djihadistes.
Couverture d’un numéro du Monde diplomatique traitant du conflit israélo-palestinien. Ceci n’est pas un torchon. Mais un journal respectable, nous dit-on. Photo montrant un prélat du Vatican agenouillé devant une crèche dont l’enfant Jésus est enroulé dans un keffieh. Ceci n’est pas un tableau du temps de l’Inquisition. Ni une caricature de la presse arabe. Mais le portrait d’un pape d’aujourd’hui. Reproduction du discours d’un homme d’État français accusant Israël de semer la barbarie. Cet homme n’est pas un ministre du gouvernement pétainiste de Vichy. C’est le plus haut représentant de la France actuelle et l’instance qui doit en préserver la dignité. La liste est sans fin. Je la terminerai juste par trois exemples. Enfant juif marchant les mains en l’air. Un morceau de tissu jaune, en forme d’étoile, est cousu à son manteau. C’est sans doute une médaille. Image d’un soldat israélien au combat dans les ruelles de Gaza. Ceci n’est pas un tueur de terroristes. Il se bat pour libérer des otages. Quatre-vingt ans plus tard, de nouveau un insigne piqué sur la chemise ou le revers du veston. Ceci n’est pas un simple ruban jaune. Mais une larme versée sur tant d’insanité.